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Fixer l’événement. Le Mai 68 du photojournalisme

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Voici la version pre-print, avec les images en couleur1, de l’article paru dans le n°32 (décembre 2011) de la revue Sociétés & Représentations (revue thématique transdisciplinaire publiée par la Sorbonne). Ce numéro, consacré à la thématique “Faire l’événement”, a été coordonnée par Pascale Goetschel et Christophe Granger, que je remercie ici pour leur invitation à participer à ce dossier et leur confiance. Une partie de ce travail a été présenté dans le cadre du colloque du Lhivic/Ehess, organisé par André Gunthert : “Si la photo est bonne. Le rôle des industries culturelles dans la construction de l’imaginaire.” (octobre 2011). Références complètes au bas de l’article.

Aujourd’hui considéré comme événement historique, Mai 68 en France est connu pour et par ses icônes photographiques : à l’exemple du face à face de Daniel Cohn-Bendit avec un CRS ou la surnommée « Marianne de Mai 68 »2, images restées dans les mémoires et attachées parfois au nom d’un photographe désormais célèbre. Ces « photographies historiques », ces « images qui ont fait l’histoire », ces « images événement » – pour reprendre quelques-unes des expressions utilisées à leur égard –, toutes issues du photojournalisme, sont le produit du système médiatique particulier que constitue la presse magazine. Cet article, qui entend comprendre comment une photographie a la capacité de « fixer l’événement », propose de déplacer la question de la photographie elle-même au « photojournalisme », en s’appuyant sur des exemples concernant les événements de Mai 683.

Les instances du photojournalisme recouvrent non pas seulement les photographes mais aussi les agences de photographie – productrices des images – et les rédactions presse – consommatrices. Certaines dominent le marché et aujourd’hui l’histoire du photojournalisme. Dans ce récit culturel – porté par la doxa professionnelle –, les différents acteurs que regroupe ce que l’on a pris l’habitude de nommer « le photojournalisme » sont mal connus et souvent ramenés à la seule figure professionnelle du photographe. La fabrication des images et leur valorisation dans les agences, comme les mécanismes qui régissent leur usage et leur gestion dans les rédactions presse restent, par contre, confidentiels. Mai 68 coïncide avec les débuts d’une période à présent idéalisée par les professionnels. À l’époque, soit le photographe est attaché à une agence de photographies dont les clients principaux sont les magazines ; soit il fait partie du staff de photographes salariés d’une publication (en presse quotidienne) ; soit, indépendant, il travaille régulièrement avec les mêmes publications. Fondée au début de l’année 1967, la jeune agence Gamma connaît plusieurs succès dans le milieu et fait figure de pionnière pour sa gestion des photographes. Paris Match, qui a fait de la photographie sa particularité, produit ses images grâce à son propre service photographie mais est aussi l’un des clients principaux des agences.

Parce que les événements de Mai 68 se déroulent sur plusieurs semaines, ils permettent d’observer les réactions médiatiques à leur égard sur une certaine durée4. Un tel parti pris suppose d’avoir accès à des archives, en l’occurrence celles d’entreprises privées. En tenant compte de cette difficulté, à laquelle s’ajoute la fragilité d’archives lacunaires, il est possible de reconstituer la chaîne professionnelle par laquelle se construisent les images des événements avant d’arriver au lecteur insérées dans une publication, autrement dit au sein d’un dispositif éditorial. Une telle description permet de suivre la gestion quotidienne par les entreprises du photojournalisme des événements des mois de mai et juin 1968 : l’événement ne se présentant pas comme tel mais se construisant au jour le jour, de la production de ses images à sa fixation, par la publication d’un récit médiatique5.

Une doxa portée par les professionnels

« La photo prend de plus en plus d’importance dans la presse, elle a depuis longtemps déjà abandonné son rôle d’illustration pour endosser celui d’information en soi », affirme Hubert Henrotte6. Membre fondateur puis directeur de l’agence de photographies Gamma (1967) et Sygma (à partir de 1973), il retrace en 2005, dans ses souvenirs, le succès fulgurant de l’agence dans un Paris qui devient, à sa suite, la « capitale du photojournalisme » :

Il existe à l’époque deux sortes d’agences photos : les unes fournissent les quotidiens ; les autres, comme Gamma, alimentent les magazines. Leur clientèle, donc leur finalité et leur travail, sont différents. Un quotidien a besoin d’un document à chaud. Il se contente en général d’une photo, éventuellement présentée à la « une », et ne publie des pages illustrées qu’en cas d’événement exceptionnel. L’approche d’une agence comme Gamma est différente. […] La photo d’un magazine vit une semaine, voire un mois. Elle doit être capable de supporter cette durée, en terme de qualité technique et esthétique, autant qu’en charge émotionnelle. […] [Le] cerveau [d’un bon photographe] construit une histoire […] [saisit] le cœur, l’essentiel, le symbole [de l’événement]. […] [Une telle photo] illustrera à la fois des dizaines d’articles et paraîtra pendant des années, car elle relève à la fois de l’actualité et de l’histoire7.

Dans ces lignes, l’un des acteurs les plus importants du photojournalisme français de la fin des années 1960 aux années 2000 formule la doxa professionnelle. Il affirme la valeur d’information de l’image photographique à destination de la presse magazine d’information tout comme sa qualité de document, et place la photographie au centre du processus de médiatisation des événements par ce type de presse : l’image seule fixe le récit de l’événement dont elle est le document, voire le symbole et dont elle peut devenir la représentation historique pérenne. La « bonne photo » montre et porte en elle l’information8. Le photographe, qui prend l’image, est la figure professionnelle centrale de cette description. La déontologie régit les relations entre la photographie et la presse en distinguant le photojournalisme d’autres formes de photographies de presse magazine : l’image photographique se caractérise alors par un rapport direct et « transparent » à l’événement et la morale du photojournaliste en garantit la source9.

Pourtant, le geste photographique ne suffit pas à faire exister une image dans l’espace public. Le trajet de l’image photographique s’avère long du « clic à la rotative10 » jusqu’au lecteur à qui elle parvient insérée dans des publications11. La photographie, en effet, passe entre les mains d’acteurs nombreux qui, chacun, la soumettent à des processus de gestion et de sélection. En agence de photographies, photographes mais aussi éditeurs, rédacteurs, archivistes participent à la fabrication, à l’existence et au choix de l’image. Puis, au sein d’une rédaction presse, son utilisation est décidée à la suite de ce que Marion Fontaine a nommé un « processus de négociation entre journalistes, maquettistes et iconographes, qui doit aboutir à la sélection de certaines représentations, du moins lorsque les questions techniques sont réglées »12. Ces professionnels sont autant de maillons qui contribuent à l’élaboration et à la mise en forme de l’information.

Pour aborder les images du photojournalisme et s’interroger, en historien, sur la façon dont elles fixent un événement, il faut alors se défaire du récit défendu par la doxa des professionnels dont le métier est par définition la médiatisation et la construction de récits ou de figures13, et qui isole l’image et le photographe comme entités autonomes. Il faut « entreprendre à travers l’archive une véritable archéologie du document photographique. […] [non pas] réduire la photographie à un simple rectangle ou carré-image qui contiendrait en son sein l’ensemble des éléments nécessaires à son approche. Chaque image possède un contexte dont la connaissance est nécessaire à sa compréhension historique. […] C’est à ces conditions que la photographie devient, à part entière, matériau pour l’historien »14. Les archives des entreprises de photojournalisme permettent de mettre en œuvre une telle démarche15.

À l’époque des événements du printemps 1968, ce n’est pas le photographe qui sélectionne parmi ses images celles qui sont proposées aux rédactions presse. Ce travail est assuré par les personnels de l’agence, de même que le travail d’indexation et d’archivage de l’image. Une photographie est un objet matériel : cette matérialité16 structure l’organisation de l’agence comme elle contraint l’utilisation de l’image. Elle guide aussi l’historien qui retrouve en elle les traces de manipulations et de choix qui ont présidé à l’élaboration visuelle de l’information, en l’occurrence les événements français du printemps 196817.

L’agence de photographies

D’une façon générale, le photographe d’agence consigne les reportages qu’il va faire dans un agenda (Gamma). Lorsque ses films (pellicules) reviennent à l’agence, ils sont notés sous un numéro dans un cahier d’enregistrement de reportages avec ses initiales, quelques mots pour nommer l’événement couvert et éventuellement la date de prise de vue. Ils sont ensuite indexés sous certains mots-clés thématiques. Un fichier d’indexation alphabétique ou un classement alphanumérique permet de les retrouver. Dans le même temps, les films sont développés au laboratoire, sous forme de planche contact [PC] pour le noir et blanc et sous forme de diapositives sous cache pour la couleur18. Les photographies choisies par l’éditeur de l’agence sont alors tirées individuellement en plusieurs exemplaires pour le noir et blanc (tirages presse) ou sous forme de duplicata pour la couleur. Enfin, les jeux d’images ainsi constitués sont négociés par le vendeur avec les rédactions presse, voire envoyés à l’étranger à des correspondants (agents ou rédactions). En 1968, cette structure d’agences de photographies, héritées de celles déjà en place19, est en cours de stabilisation. Or, elle pèse sur les manières de fixer l’événement. Le photographe intègre ces fonctionnements collectifs dans son processus de récolte et de fabrication des images. Être là au bon moment, expédier les films à temps pour respecter l’agenda d’impression et de parution des magazines, correspondre aux attentes iconographiques des publications sont autant de paramètres déterminants de son travail de prise de vue20.

La prise de vue

Figure 01: Fichier Apis. Classement et indexation thématique des reportages

Apis et la jeune agence Gamma sont deux des plus importantes agences à l’époque des événements du printemps 1968. Les fichiers d’indexation des films pour l’agence Apis et les cahiers d’enregistrements de Gamma indiquent les événements couverts, les lieux sur lesquels les photographes se rendent et les dénominations utilisées pour désigner les événements en cours, leur perception dans leur déroulement. [Fig. 1]

Chez Apis, les films, consignés manuellement sur des fiches cartonnées, étaient indexés par un ou plusieurs mots-clés thématiques reproduits au verso des PC accompagnés d’un astérisque. La plupart des PC sur Mai 68 arborent les mots-clé « Manifestations » et « Étudiants », pas « Occupations » ou « Usines »21. En s’appuyant sur les dates de prises de vue, ces enregistrements révèlent ce que les photographes ont couvert dans le cours des événements22. [Fig. 2]

Les affrontements entre étudiants et policiers autour de la Sorbonne le 6 mai ainsi que la nuit du 24 mai 1968 – depuis surnommée « la deuxième nuit des barricades » – correspondent aux deux moments particulièrement photographiés, tous deux ayant pris place dans le quartier latin à Paris. La dite « première nuit des barricades » (10-11 mai) fait au contraire l’objet d’assez peu de matériel iconographique. Les prises de vue se concentrent sur certains moments : la période d’amplification des mouvements de grèves (jusqu’au 20 mai) fait l’objet de peu de photographies et dans le dernier tiers du mois de mai, c’est essentiellement la journée au stade de Charléty le 27 mai, le défilé CGT le 29 et la manifestation de soutien à De Gaulle le 30 mai qui attirent l’attention des photojournalistes.

Figure 02 : Nombre de films enregistrés par les agences Apis et Gamma (mois de mai 1968)

L’ensemble des prises de vue se déroule dans la capitale ; Nantes et Billancourt sont mentionnées. Les grèves, les occupations et les mouvements en province ne sont pratiquement pas couverts par ces photojournalistes. Si la proximité géographique permet de répondre dans les temps, et à moindre coût, à la demande des rédactions presse, ces éléments traduisent une lecture des événements par les photojournalistes – ils privilégient les manifestations étudiantes au quartier latin – et « l’extrême contingence de l’image23». Ils sont aussi le signe d’une culture assez uniforme des photographes d’agences qui vont tous aux mêmes endroits24.

Dans un tel cadre, lire les séries d’images sur les PC des photojournalistes, consiste à observer ces derniers dans leur travail pour répondre à une demande médiatique. Ils tournent autour de certains sujets et concentrent leur attention sur certains motifs. Le 3 mai 1968, des étudiants de Nanterre se sont regroupés dans la cour de la Sorbonne pour protester contre la fermeture de leur université et la comparution d’étudiants devant le conseil de discipline (prévue le 6 mai). La Sorbonne est cependant elle-même évacuée brutalement par la police : premiers heurts violents et spectaculaires dans le quartier latin. Jack Burlot, photojournaliste à l’agence Apis, couvre ces affrontements. Les deux dernières bandes de négatifs d’une de ses PC montrent une soudaine accélération de l’activité du photographe qui se rapproche d’une voiture autour de laquelle se joue une altercation entre une femme qui défend un manifestant, le jeune homme et des CRS [Fig. 3].

Figure 03 : Jack Burlot 3 mai 1968

Jack Burlot prend successivement au moins douze clichés de la scène. Cette accélération signale-t-elle ce que le photographe reconnaît comme l’image d’un événement et signe-t-elle ce mécanisme de reconnaissance ? Est-ce alors un fait qui fait événement, un événement visuel (un motif, un sujet, un élément photogénique) ou la rencontre des deux ? La scène surprise par Jack Burlot ce 3 mai a fait l’objet de plusieurs enregistrements visuels qui vont circuler médiatiquement. Les photographes et gens d’images sont d’ailleurs dans le champ les uns des autres. Dès le 11 mai 1968, la rédaction de Paris Match publie une photographie de la même scène, couverte par un autre photographe25. L’une des photographies de la série de Jack Burlot fera la couverture d’un numéro spécial de Libération, 30 ans après les événements, le 4 mai 1998. Ces occurrences traduisent un professionnalisme certain de la part des photojournalistes. Ce qu’ils ont repéré comme un « moment à image » correspond à la demande des grands médias auxquels ils destinent leurs productions. Les archives confirment que les photojournalistes, attirés par des scènes similaires pour faire leurs images, s’efforcent de fixer visuellement des situations qui correspondent à la définition médiatique de l’événement. Elles suggèrent aussi, ainsi que le soulignera plus tard Gilles Saussier, combien ce milieu est engagé « dans la perpétuation de sa propre histoire canonique, au prétexte des grands événements de l’actualité. […] Plus que des événements eux-mêmes, c’est de la tradition iconographique des médias de masse occidentaux et de son hégémonie planétaire [que les photographies d’actualité] témoignent au premier chef »26. La comparaison des PC donne des indications sur le style d’image médiatiquement viable.

Le choix de l’image : le rôle de l’éditeur, du rédacteur et du vendeur

La PC, véritable outil de travail pour l’agence, permet de choisir les images susceptibles d’intéresser les rédactions presse. À partir d’elle, il est possible de s’approcher de ce que l’éditeur a choisi au moment de la construction médiatique de l’événement travaillé27.

Le recto et le verso sont couverts d’indications, en nombre variable d’une époque à l’autre. Au verso, le numéro de reportage, le nom du photographe (en général abrégé en trois lettres) sont souvent accompagnés d’un tampon d’agence. Au recto, des indications manuscrites correspondent aux choix d’images (à l’époque de l’événement si la PC est d’origine) ou de choix effectués a posteriori. Les bandes de film y figurent souvent en désordre, car la rapidité de son exécution est plus importante que l’attention portée à la reconstruction de la succession des images d’un même film. Dans la mesure où les photographes travaillent avec plusieurs boîtiers (d’appareils de photographies), la succession des vues d’un même film ne peut être considérée comme l’exact décalque chronologique des événements photographiés, mais elle s’en approche. Les editings successifs – c’est-à-dire le travail de sélection par l’éditeur de l’agence – se superposent sous forme de traces manuscrites.

La Fondation Gilles Caron a pu récupérer une quinzaine de PC des films du photographe, réalisées par l’agence Gamma au printemps 1968. Elles montrent qu’il s’approche de son sujet, suggèrent parfois l’accélération de sa prise de vue ou au contraire des temps « d’errance » où il semble ne rien « voir » – reconnaître – d’intéressant. Toutes portent les traces de la sélection opérée ensuite par l’éditeur. Une PC datée du 11 mai, au lendemain de la « première nuit des barricades », montre Gilles Caron rue Gay-Lussac à Paris qui travaille sur les dégâts causés par les affrontements de la nuit, autour des voitures renversées et calcinées. Les bandes films sont très désordonnées et l’éditeur remarque une première image (vue 7A) marquée d’un rond rouge léger. Cependant, c’est finalement la vue 34A, proche de la précédente, qu’il sélectionne. Au vu d’autres marques rouges, une autre image retient particulièrement son attention (vue 26A). Sur une PC de la nuit des barricades du 24 mai28, le photographe travaille autour de la violence policière [Fig. 4]. L’éditeur, lui, cherche et choisit les images dans lesquelles cette violence est la plus lisible : éditeur et photographes partagent visiblement une culture visuelle commune.

Figure 04: Gilles Caron PC 24 mai 1968

Les vues sélectionnées sont ensuite tirées individuellement, en un format facile à lire, en plusieurs exemplaires. Leur nombre dépend de l’évaluation de leur succès auprès de la presse : lié aux images identifiées comme susceptibles de satisfaire les attentes des magazines, il témoigne de l’anticipation de la part des éditeurs des choix possibles des rédacteurs presse. Le rédacteur de l’agence de photographies rédige un court texte au verso des tirages : étape de construction de sens supplémentaire du fait photographié29. Travailler sur ces tirages est complexe : le flux de l’actualité en a fait longtemps un matériel de travail sans autre valeur que pratique et ils sont restés souvent éparpillés dans les rédactions dans lesquelles ils étaient déposés. « Le choix des photos, c’est évidemment ce qui prime », raconte en 1969 Gilles Caron :

“Tu fais beaucoup de photos et sur une planche de contact, il ne peut finalement n’en avoir que deux de valables, ou même une, ou même pas du tout, ça arrive. […] [Au] moment des événements de mai, tous les jours, toutes les fois qu’il y avait des manifs, il y avait haut comme ça de contact, parce qu’on était toujours deux ou trois à faire des photos sur une manifestation… On amenait tout ça à l’agence pendant la nuit, le lendemain c’était développé à six heures du matin puis derrière tu as la personne qui choisissait obligatoirement à toute pompe et il fallait que le vendeur soit à neuf heures moins le quart dans les journaux.”30

Muni de ces différents jeux de photographies, le vendeur fait la tournée des rédactions auxquelles il propose les images ainsi choisies et ordonnées. Ce métier, tout à fait fondamental dans la construction de la représentation photojournalistique d’un événement, est particulièrement méconnu et absent du récit porté par la doxa professionnelle31. Véritable interface entre l’agence de photographies et la rédaction presse, il est pourtant l’un des maillons de la chaîne du photojournalisme le plus au fait des styles attendus et des enjeux économiques qui président à la vente d’une image pour publication. Il intervient souvent dans leur choix :

Il y a toujours des photos qui te plaisent quand même, des photos qui sont meilleures qu’une autre, plus jolie pour une raison ou pour une autre, mais elle est moins journalistique souvent, et ça dans les agences, c’est le vendeur qui tranche. Il sait d’avance ce que tel journal lui demandera parce qu’il y a un style dans chaque journal. Tu vois un vendeur faire ses jeux, c’est quelque chose d’étonnant… […] le lendemain [de la prise de vue] le vendeur fait ses jeux, et il sait que ça c’est pour France-Dimanche, ça c’est pour Jour de France, ça c’est pour Paris-Jour32.

À propos du rôle du vendeur et de l’importance du choix des images, Gilles Caron poursuit la discussion en revenant sur l’exemple d’une image aujourd’hui célèbre de Mai 68 – l’étudiant pourchassé par un CRS, bidule à la main, dans la soirée du 6 mai :

Cette photo, elle a mis deux jours à sortir. Ils ne l’ont pas vue et le vendeur, en reprenant le contact le lendemain, l’a vue. Il l’a encadrée, et il est allé l’apporter à Match et leur a dit « Je ne comprends pas que vous ne preniez pas cette photo ». Le gars a dit « Ah… » et l’a mise dans le dossier33. Et elle est sortie comme ça, mais personne ne le savait. Elle n’a commencé à être bonne que du jour où elle a été publiée34.

Au-delà de l’anecdote, aujourd’hui difficilement vérifiable, ce témoignage montre le rôle déterminant du choix : une image choisie est une image qui peut exister. Sélectionnée par l’agence, elle est susceptible d’être publiée par une rédaction presse et elle devient une bonne image35.

Ainsi, l’image dite d’information ne répond pas à des critères de définition d’ordre historique. Le classement thématique des vues dans un fichier – indexation la plus efficace pour leur vente36 –, les informations qui les accompagnent (la date de prise de vue n’est pas parmi les plus importantes), le désordre des bandes films sur les planches de contacts37, sont autant d’indicateurs de son fonctionnement. L’agence de photographies, dispositif tout entier organisé pour la vente des images produites, répond d’abord à des logiques commerciales.

Les usages de la photographie en rédaction presse

La rédaction presse constitue l’autre pôle fort de l’élaboration photojournalistque d’un événement38. À ce stade du parcours de l’image, le photographe comme la photographie n’apparaissent plus comme des entités autonomes, contrairement aux affirmations de la doxa professionnelle. Achetée, et choisie pour la publication, l’image photographique vient s’insérer dans ce qu’André Gunthert nomme des dispositifs éditoriaux complexes39. Elle participe à la construction du dispositif au sein duquel elle est utilisée et pour lequel elle est choisie : comme élément graphique, d’une part ; comme élément signifiant, d’autre part.

La photographie est un élément graphique

Figure 05 : Gilles Caron 27 mai 1968 stade Charléty. Tirage de presse

Un tirage presse d’époque (« vintage ») d’une photographie de Gilles Caron, datée du 27 mai 1968 et légendée Charléty [Fig. 5 et 6] montre en son recto Pierre Mendès France au milieu de la foule ; le verso est couvert d’indications (marges de recadrage, dimensions, etc.) qui visent à adapter la photographie d’origine à la maquette du magazine qui la publie [Fig. 7]. Sur la double page publiée, ces consignes graphiques ont été respectées. Le choix de l’image ne relève pas que de contraintes informationnelles ou politiques ; il est aussi mû par des contraintes techniques et des cultures professionnelles de l’image différentes les unes des autres, les graphistes et iconographes ne réagissant pas comme les journalistes ou photographes face à elle. L’image photographique, défendue comme un document par les uns, est travaillée comme un élément graphique de l’élaboration médiatique du magazine par les autres40.

Il est très courant de réutiliser le matériel iconographique. Dans notre exemple, une mention au verso indique que la même photographie a été réutilisée dans le numéro du 30 septembre 1983, c’est-à-dire dans un autre dispositif éditorial. La comparaison de ces deux occurrences permet de prendre la mesure du travail d’éditorialisation auquel les images photographiques sont soumises et de l’élaboration journalistique à laquelle elles participent.

Figure 06 : Gilles Caron 27 mais 1968 stade Charléty. Tirage de presse, vers

Figure 07 : Le Nouvel Observateur n°187 du 7 juin 1968

En 1968, accompagnée du titre « Les sombres querelles des “appareil” », la photographie de Pierre Mendès France vient corroborer une narration des faits. En 1983 [Fig.8], recadrée, elle appuie une autre narration, au sein d’un article intitulé « Mai 68, Mendès et la légalité ». Ces choix éditoriaux multiples traduisent l’importance de l’usage illustratif des images, « caractérisé par le fait de faire dire quelque chose à l’image. ». Une « intention narrative préside au choix iconographique » et « se manifeste par la création d’un rapport entre texte et image » qui vise « ni plus ni moins [à] faire de l’image un signe »41.

La qualification de l’événement

Figure 08 : Le Nouvel Observateur n°983 30 septembre 1983

À l’époque des événements du printemps 1968, il existe trois principaux magazines d’informations : Paris Match domine L’Express et Le Nouvel Observateur en terme de tirages, de lectorat et de renommée dans le milieu professionnel du photojournalisme. C’est dans leur numéro de la mi-mai que ces trois hebdomadaires consacrent pour la première fois leur « une » aux événements de Mai 68, photographie à l’appui [Fig. 9 à 11]. Ces « unes » (L’Express du 13 mai 1968, Le Nouvel Observateur du 15 mai et Paris Match du 18 mai) traduisent une réaction médiatique synchrone (en tenant compte de leur calendrier de parution) à l’amplification des mouvements et surtout à la montée en puissance de la violence ; notamment celle de la nuit du 10 au 11 mai dans le quartier latin42. Ainsi, « la dénonciation des violences policières est intervenue très vite en particulier dans une partie de la presse, Le Monde, Combat, mais aussi Paris Match43 ».

La presse magazine réagit à ces faits nocturnes spectaculaires en accordant aux événements la place la plus haute dans la hiérarchie de l’information : la « une »44. Pourtant, ce n’est pas avec une photographie de ce moment critique que ces couvertures sont construites. Chacun des trois hebdomadaires a choisi une photographie d’étudiants prise en plein jour ; image explicitement datée du 6 mai dans Paris Match et L’Express ; non créditée ni datée pour Le Nouvel Observateur. Ce décalage entre les faits qui « font monter » l’information en « une » et l’image attendue qui leur correspondrait – une photographie des barricades nocturnes –, les titres et les maquettes choisis sont autant d’indicateurs du récit construit et proposé par les rédactions. « La France face aux Jeunes », « Étudiants : l’Insurrection », « La révolte étudiante » : c’est le récit d’un face à face entre les jeunes et l’ordre. Le dispositif tout entier de la « une » assure la qualification45 des événements médiatisés.

Figures 09 à 11: Les Unes des principaux titres de la presse magazine de l'époque

Nous l’avons vu, il y a peu de photographies disponibles de la nuit du 10 au 11 mai alors qu’il en existe de nombreuses des confrontations des étudiants avec les policiers le 6 mai aux alentours de la Sorbonne. Les images nocturnes, très sombres ou marquées par la lumière du flash, sont peu lisibles et ne permettent pas didentifier rapidement une histoire. Quelques rares images des barricades sont publiées en pages intérieures de ces numéros mais le récit d’un duel n’est alors pas possible. Par comparaison, le dispositif des « unes » est plus clair. Il offre une synthèse médiatique qui fonctionne avec des images lisibles et qui, en une formule globale, qualifie tout entière les événements de « révolte étudiante ». Un récit partiel de l’événement, immédiatement lisible est ainsi fixé par l’ensemble d’un dispositif médiatique auquel participe – dans ces conditions – la bonne photographie.

Ainsi, la photographie seule n’est ni une information ni un document de l’événement qu’elle représente : c’est l’ensemble du dispositif médiatique dans lequel elle prend ponctuellement place qui en fait une représentation construite des évènements et les fixe. Contrairement à ce que maintient la doxa professionnelle, ces images ne s’imposent pas d’elles-mêmes, pas plus qu’elles ne témoignent en toute transparence de l’événement dont elle deviennent une forme médiatique : le système complexe tout entier – de la fabrication à la qualification, en passant par la gestion et la valorisation – construit ses icônes et ses récits46.

Questionner la part de la photographie dans l’écriture de l’événement invite à inclure dans l’analyse l’histoire du photojournalisme, telle qu’autorisent à l’écrire les archives des multiples activités dont il est fait ; une histoire qu’il convient de tenir en respect de celle que les professionnels racontent. La démarche se révèle d’autant plus impérative au regard des nombreuses réutilisations, édifiantes ou mémorielles, de ces images et de la requalification des événements de Mai 68 à laquelle, converties en « icônes référentielles », elles donnent lieu au gré d’autres mécanismes médiatiques et culturels. Les photographies publiées dans les manuels scolaires, présentées en-dehors de tout contexte de fabrication et de diffusion, n’ont, pour la majorité d’entre elles, pas été publiées de manière remarquable au moment des événements47. Présentés comme des « archives », ces corpus d’images, dont les processus de construction sont passés sous silence, nourrissent les rétrospectives, dossiers ou numéros spéciaux, qui sont autant d’occasions, particulièrement rentables48, de leur légitimation comme représentation transparente d’événements qu’ils ont pourtant contribué à construire comme tels.

Pour citer cet article
Audrey Leblanc, « Fixer l’événement. Le Mai 68 du photojournalisme », Sociétés & Représentations, n°32 “Faire l’événement”, Paris, Publications de la Sorbonne, décembre 2011, p. 57-76.

MàJ du 24 juin 2012: voir le précieux article d’André GUNTHERT, “De quoi l’archive photographique est-elle la mémoire?“.

  1. et sans coquille ; principalement, dans la version publiée, le texte de la note 46 s’est en partie retrouvé dans le corps du texte de la conclusion.
  2. Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2008. p. 141-144. Vincent Duclert, « L’engagement des photographes : le photojournalisme en action », dans Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008, p. 390-394.
  3. Cette approche rejoint celle proposée dans : Régis Durand et Michel Poivert (dir.), L’Événement. Les images comme acteurs de l’histoire, Paris, Hazan/éd. Jeu de Paume, 2007.
  4. Marie-Françoise Lévy, et Michelle Zancarini-Fournel, « La légende de l’écran noir : l’information à la télévision en mai-juin 1968 », Réseaux, n° 90, juillet août 1998, p. 95-117.
  5. Les historiens de Mai 68 ont démontré que la chronologie des événements concerne les mois de mai et juin. Mais pour des raisons d’accès aux archives, il sera surtout question ici des semaines du mois de mai 1968. Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 1968, Paris, éd. de l’Atelier/éd. Ouvrières, 2008 ; Boris Gobille, Mai 68, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2008.
  6. Jean-Louis Gazignaire et Hubert Henrotte (dir.), Le Monde dans les yeux. Gamma-Sygma, l’âge d’or du photojournalisme, Hachette Littératures, Paris, 2005. p. 15 (nous soulignons).
  7. Ibid., chap. 4 : « Paris, capitale du photojournalisme », p. 47-48 (nous soulignons).
  8. Au festival Visa pour l’image consacré au photojournalisme ou à la revue Polka, on défend cette définition : « Le grand bain », France Inter, 4 août 2011 ; émission consacrée à « La crise du photojournalisme ».
  9. Vincent Lavoie, « La rectitude photojournalistique. Codes de déontologie, éthique et définition morale de l’image de presse », Études Photographiques, n° 26, 2010, p. 3-24 . À cette doxa s’ajoute aujourd’hui le fort attachement à cette époque du photojournalisme, considérée comme un « âge d’or ». Associé à de grands noms, ces « fleurons du photojournalisme » voient ainsi leurs récentes évolutions relatées avec la même rhétorique ; la période actuelle étant vécue, par comparaison, comme une période de « crise ».
  10. Jean-Luc Iseli, « Maîtriser l’image : du clic à la rotative », in Gianni Haver (dir.), Photo de presse. Usages et pratiques, Lausanne, Antipodes, coll. « Médias et histoire », 2009, p. 261-269.
  11. Mary Panzer et Christian Caujolle, Things as They Are. Photojournalism in Context since 1955, cat. exp., Londres, Chris Boot, 2005.
  12. Marion Fontaine, « L’œil intelligent. Le choix des photos politiques dans Le Nouvel Observateur », Sociétés & Représentations, n° 12, 2001/2, p. 307-320 (p. 312).
  13. Michel Guerrin, Profession photoreporter. Vingt ans d’images d’actualité, Paris, Centre Georges Pompidou/Gallimard, coll. « Au vif du sujet », 1988.
  14. Ilsen About et Clément Chéroux, « L’histoire par la photographie », Études photographiques, n° 10, 2001, p. 8-33 ; et Pascale Goetschel, « Les usages de l’image en histoire », Vie Sociale, n° 1, 2005, p. 21-41.
  15. Dans ces entreprises privées, les archives relèvent du secret industriel et sont soumises à accord préalable. Celles-ci n’ont pas une vocation patrimoniale : la gestion de leurs propres archives répond à une volonté commerciale et doit assurer une rentabilité d’ordre financier. Quand ce n’est plus le cas, les fonds sont liquidés. (Voir Estelle Blaschke, « Du fonds photographique à la banque d’images », Études photographiques, n° 24, 2009, p. 150-181.). Par conséquent, ces archives sont lacunaires (éparpillements, défauts de conservation, etc.). Et certaines informations ne sont compréhensibles ou connues que de ceux qui s’en sont occupé et servi ; elles restent difficiles à déchiffrer sans leur aide. Les couches de manipulations successives se superposent (traces des différents classements adoptés ou des choix opérés, par exemple) et traduisent les adaptations de l’entreprise au cours du temps. L’ensemble de ces facteurs rend peu aisées la reconstitution et la compréhension de leur fonctionnement effectif. Pour ce qui est des agences de photographies nées à la fin des années 1960, un travail de collecte d’archives et d’analyse est en cours avec Sébastien Dupuy, ancien rédacteur en chef des collections et photographes Sygma Initiative chez Corbis. Ce travail est soutenu par le laboratoire de recherche en histoire visuelle contemporaine (Lhivic, EHESS) dirigé par André Gunthert.
  16. Pour ce qui est de la période Mai 68, il s’agit de fonds photographiques argentiques. Voir Françoise Denoyelle, « Qu’est-ce qu’un fonds iconographique ? Comment le définir, comment le gérer, que dit la loi sur le sujet ? », Vie sociale, n° 1, 2005, p. 13-20.
  17. Dans cet article, nous nous appuyons principalement sur les archives Sygma/Corbis (qui comprennent celles des agences Apis, Reporters Associés et Sygma) et les archives de la Fondation Gilles Caron, photographe à l’agence Gamma de 1967 à 1970. Que ceux qui ont permis leur accès soient ici remerciés pour leur aide dans ce travail. Pour ce qui est des rédactions presse, il n’a pour l’instant pas été possible de travailler sur leurs archives. À titre d’exemple, le groupe Lagardère Active-Hachette Filipacchi Press a autorisé une visite des archives de Paris Match mais pas leur consultation (juin 2010).
  18. Le film positif couleur – la diapositive – est utilisé de façon dominante jusqu’à la fin des années 1980.
  19. Pour les agences d’avant la Seconde Guerre mondiale, Françoise Denoyelle, La Lumière de Paris, 2 vol., Paris, L’Harmattan, 1997. Nous ne disposons pas, aujourd’hui, d’un travail équivalent sur les agences de l’après-guerre.
  20. « Quand on pense que pour la presse les trois quarts du temps le problème c’est d’être là au moment où il se passe quelque chose, d’avoir expédié les photos au bon moment pour que ça arrive juste avant les bouclages à Paris. C’est uniquement une question de nerf et de petite gamberge… » Entretien du photographe Gilles Caron avec Jean-Claude Gautrand, 1969. Archives Fondation Gilles Caron, comme l’ensemble des documents associés au photographe de cet article.
  21. Pour le mois de mai, Apis enregistre 141 films sous « Manifestations » (tous correspondent à Mai 68, à l’exception d’un film) et 110 sous « Étudiants » : ils ne s’additionnent pas mais se recoupent. De son côté, Gamma enregistre 656 films dont 252 sont explicitement rattachés à des événements de Mai 68, soit entre le tiers et la moitié des films produits par l’agence. L’agenda présidentiel (le voyage du président De Gaulle en Roumanie du 14 au 18 mai, par exemple) et l’agenda mondain occupent principalement le reste de la production : l’actualité dite « news » ne domine pas massivement la production d’images, déjà en mai 1968. Certains intitulés succincts et parfois obscurs sous lesquels sont enregistrés les films ne mettent pas à l’abri d’une erreur de comptage.
  22. Le choix du mois de mai correspond non pas à la chronologie totale des événements mais à la période pour laquelle les archives consultées sont les plus complètes. Les dates de prises de vue, indiquées dans le fichier Apis, sont absentes des enregistrements de Gamma. Le comptage tient à des recoupements. Les débats ayant marqué le festival de Cannes de 1968 ne sont pas pris en compte car il n’a pas été possible de distinguer les films relevant de l’événement mondain de ceux traitant des conflits.
  23. « Cette extrême contingence de l’image, qui explique pourquoi de la plupart des événements les plus graves et les plus tragiques il n’y a aucune image, devrait faire réfléchir sur les documents qui existent en s’interrogeant sur leur existence à partir de tous ceux qui n’existent pas et qui auraient pu, voire dû, exister : par quel miracle une prise de vue nous arrive-t-elle ? Comment cela se fait-il qu’il y ait eu un témoin ? », Yves Michaud, « Critique de la crédulité. La logique de la relation entre l’image et la réalité », Études photographiques, n° 12, 2002. p. 110-125.
  24. « Dans tous les pays c’est quand même relativement bien organisé. S’il y avait une guerre civile en France par exemple… Pour les photographes anglais qui sont venus à Paris pendant les événements de mai, pour eux ce n’était pas difficile. Il leur suffisait de se pointer boulevard Saint Michel et de faire des photos. Tu vas en Israël, il y a la guerre, c’est sensiblement la même chose. ». Gilles Caron, ibid.
  25. N° 996. Les crédits photographiques de Paris Match sont réunis sous forme de liste en début de reportage sans indiquer à quelles images correspondent les noms ainsi compilés. Une version télévisée est, par ailleurs, conservée dans les archives de l’INA qui la rediffuse en 2008 dans le DVD consacré à Mai 68 et dans les images de laquelle on reconnaît les mêmes personnes : Mai 68. Les images de la télévision, DVD édité par l’INA et réalisé par Hugues Nancy, Paris, 2008. « Chroniques, chap. 1 ».
  26. Gilles Saussier, « Situation du reportage, actualité d’une alternative documentaire », Communications, n° 71, 2001, p. 307-331 (p. 309) ; et il ajoute : « Ainsi s’entretient le bégaiement visuel de l’histoire par la reproduction de figures rhétoriques invariables, au premier rang desquelles on trouve la véritable image de guerre codifiée durant la guerre du Vietnam ou l’image de la douleur, version mater dolorosa en fichu à l’occasion de funérailles ». De son côté, à la question proprement esthétique de la photographie en presse à l’époque, G. Caron répondait en 1969 en mobilisant des critères essentiellement techniques : « il y a une espèce d’esthétisme dans la photo de presse aussi, qu’on peut suivre. Il y a des modes, on fait tous du télé… et tout à coup on fait du grand angle… ça joue aussi, ça. ». Ibid.
  27. Les photographies en couleur sont soumises à un conditionnement particulièrement contraignant. La diapositive s’impose pour des questions d’imprimerie mais le choix de ce film positif engendre de nombreuses conséquences. Les vues d’une même pellicule sont individualisées par la mise sous cache. Il faut alors les identifier une à une (au contraire d’une planche contact qui permet, en général, d’identifier un film de 36 poses en une fois). Le nom du photographe, le numéro de reportage, la date de prise de vue ou l’événement, le nom de l’agence… ne figurent pas nécessairement sur chacun des caches. Il est, par ailleurs, particulièrement difficile – voire impossible – de reconstruire la succession des images d’un même film, autrement dit la chronologie d’une prise de vue, car leur manipulation revient à manipuler des images isolées. Les diapositives se dispersent, se perdent, se mélangent… et s’abîment beaucoup plus facilement que les PC. Ces images ont donc été beaucoup moins bien conservées que les images en noir et blanc.
  28. merci à Grégory Divoux pour le coup de main technique ;-)
  29. Exemple de texte rédigé au verso d’une photographie du mardi 2 avril 1968 montrant deux étudiants assis sur un banc de couloir et lisant sous un graffiti « plutôt la vie » : « La rentrée à la faculté de Nanterre après un week-end de fermeture : pas d’incidents notoires. Les étudiants, voulant éviter un affrontement avec la police ont, par contre, transformé les murs de la Faculté en un véritable journal de slogans, comme le font les gardes rouges à Pékin. Photo : Gilles Caron – Gamma. »
  30. Ibid.
  31. Voir le récent entretien par Michel Puech, d’un vendeur à Apis, Gamma puis Sygma : « Alain Dupuis, un vendeur mythique », La Lettre de la photographie, 5 septembre 2011. Les informations recueillies relèvent essentiellement du récit de soi.
  32. Ibid.
  33. Paris Match, n° 997, 18 mai 1968.
  34. Ibid. (nous soulignons). Il poursuit : « Jusque là c’était une photo comme les autres et il fallait vraiment bien la regarder pour voir qu’effectivement elle était bonne. Moi-même je ne m’en souvenais absolument pas. C’est ce que je te disais, tu ne choisis pas quand tu fais des photos sur des manifestations. Les flics courent dans tous les sens, les manifestants aussi et tu fais des photos de ce qui se passe. Là c’était onze heures du soir dans une petite rue… Ce doit être une des dernières photos sur une planche contact en plus, c’est pour ça que personne ne l’a vue. Ce devait être une des dernières photos de la soirée. Toute la journée il y a eu de bonnes photos faites de jour, c’est du reste la seule manifestation qui a eu lieu de jour ; des photos bonnes techniquement, on voit bien sur une planche de contact. À la fin, le soir, il y a encore eu des accrochages dans les petites rues après la grosse bagarre à Saint-Germain et rue de Rennes et j’ai continué à faire quelques photos. Tu fais un flic qui courre [sic] et tu t’en vas… Mais vraiment je ne m’en souvenais pas du tout et il s’est trouvé que cette photo était bonne ».
  35. La valorisation de la photographie publiée est une constante du milieu.
  36. « Dire, par exemple, que classer les photos par thématique et non par photographe équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin est aberrant. C’est méconnaître totalement les règles de commercialisation telles qu’elles étaient pratiquées à l’époque. Mitterrand a été photographié par une vingtaine de photographes de Sygma. S’il avait fallu chercher dans vingt dossiers la photo désirée par un magazine, nous y serions encore, et jamais l’agence n’aurait réalisé 35 % de son chiffre d’affaires avec les archives », entretien d’Hubert Henrotte avec Michel Puech, La Lettre de la photographie, 2 septembre 2011.
  37. La hâte avec laquelle la PC est réalisée indique que le respect de la chronologie de la prise de vue et le déroulé historique de l’évènement photographié ne déterminent pas le geste professionnel.
  38. Michel Puech, « Entretien : Guillaume Clavières », La Lettre de la photographie, 1er septembre 2011
  39. André Gunthert, L’Atelier des icônes, tag « Illustration ».
  40. Valentina Grossi, « Pratiques de la retouche numérique. Enquête sur les usages médiatiques de la photographie », master, EHESS, 2011. En particulier chap. 5, p. 101-123.
  41. André Gunthert, « L’Illustration ou comment faire de la photographie un signe », L’Atelier des icônes, 12 octobre 2010. Il ajoute : « En s’appuyant sur la culture des usages documentaires de l’image, l’illustration photographique se donne comme la preuve irréfutable d’une construction narrative qui a la structure d’une fiction. Le caractère artificiel de ces constructions est souvent repérable par l’observation d’un décalage apparent entre les composantes du dispositif, comme la mobilisation d’une image en-dehors de son contexte original. ».
  42. Voir l’analyse de cette nuit à l’aune de la notion d’« événement critique » de Pierre Bourdieu, par l’historienne Ingrid Gilcher-Holtey, « La Nuit des barricades », Sociétés & Représentations, n° 4, 1997, p. 165-184.
  43. Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective, op. cit. p. 215.
  44. André Gunthert, « L’échelle de l’information », L’Atelier des icônes, 23 avril 2010.
  45. « En l’absence du motif classique qui constitue la signature de l’événement, celui-ci n’est pas qualifié par le média – et donc pas reconnu par le public. », André Gunthert, « Rattraper la révolution », L’Atelier des icônes, 21 janvier 2011 – à propos du traitement médiatique de la révolution tunisienne.
  46. Depuis le début des années 2000, l’arrivée de nouvelles technologies et du web a modifié l’économie de ces images. De nombreuses rédactions presse ont conservé des tirages presse et parfois des originaux jamais restitués ; d’abord par négligence puis par choix devant leur valeur croissante sur les marchés de l’image. La notion de « vintage » pour désigner du matériel d’époque a permis de construire un marché de la photographie de presse selon les mécanismes de valorisation définis par le marché de l’art, c’est-à-dire centrés sur les notions d’œuvre et d’auteur. Voir Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, « La construction du marché des tirages photographiques », Études photographiques, n° 22, septembre 2008.
  47. Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68, op. cit., p. 92 : « D’une façon générale, la plupart des manuels [scolaires étudiés], à une exception près, traitent de la séquence [Mai 68] dans un dossier spécifique qui privilégie les documents iconographiques, confirmant le rôle d’icônes référentielles de certaines images – les graffitis sur les murs, les forces de l’ordre chargeant ou la photographie de Cohn-Bendit hilare face à un CRS, la première ligne des hommes politiques ceints d’une écharpe tricolore au cours de la manifestation gaulliste du 30 mai à l’Arc de Triomphe ».
  48. « Paul Khayat : D’après les courbes de vente que vous avez affichées sur votre mur ce sont les numéros commémoratifs qui constituent la plupart des pointes. Expliquez-vous cela par rapport à l’image ou au journal dans son ensemble ? / Roger Thérond : Match fait partie du patrimoine de la population française. Beaucoup de jeunes gens, de gauche ou de droite, sont fascinés par Match, qu’ils l’aiment ou non. Pour la génération de 68 on pourrait penser que c’est « le journal de papa ». Eh bien non. Serge July, dans votre précédent numéro, y fait sans cesse référence et la plupart des jeunes reporters qui sont entrés à Match viennent de Libé, d’Actuel ou du Matin. Ils ont la fascination de Match. D’où vient-elle ? De leurs parents, des kiosques, du slogan qui est entré dans la mémoire collective. Le poids des mots, le choc des photos. Il n’y a pas une journée où il n’est repris, parodié ou imité. Cela fait partie d’un certain imaginaire. Dans la photothèque du Français moyen il y a Match », Photographie Magazine, 1988, n° 2, 1988.

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